Défi N°74
proposé par Enriqueta
Qui n'a jamais aimé un objet démesurément (et pas seulement quand vous étiez enfant) ?
Qui n'a jamais cru qu'une machine pouvait avoir une personnalité ?
Qui n'a jamais personnifié un objet (en lui donnant un nom par exemple) ?
Qui n'a jamais parlé à une machine ?
Choisissez un objet / une machine et racontez nous sa vie humanisée et ses relations avec vous (ou avec un autre humain) qu'elles soient positives ou négatives.
Royale's Memories
Une grande Dame a rêvé quelques instants.... depuis l'armoire du grenier (clic)
La petite en rêvait depuis tant de temps, s'extasiait devant les vitrines des grands magasins sur des fabrications rosies attirant les gamines, qu'on appelait "machine à écrire" parce que c'était la mode .
J'étais la divine , "la Royale", qu'on lui avait offerte.
Je m'étais pavanée un matin de Noël enrubannée de papier coloré, sous ce sapin miniature, qui laissait perler quelques gouttes de sueur résinées, dans cet appartement surchauffé .
Son père m'avait d'abord camouflée dans sa cave atelier, pour me faire une toilette intime, avait amoureusement huilé mes rouages mécaniques, pour que chacune de mes touches fasse mouche.
Je n'étais pas une petite jeune tout juste sortie d'usine , j'étais une réformée du boulot, il manquait trois capuchons d'alphabet à mes touches, mais j'avais fière allure . Une limousine, une solide "traction" malgré mon clavier édenté.
J'étais la Royale surprise de Noël !
Je ne fus pas déçue, une fois débarrassée du papier cadeau qui m'étouffait , je fus son amie dès notre première rencontre.
Je suis aujourd'hui dans ce grenier, sans tristesse, je ne suis pas partie comme d'autres objets, abîmée dans un container ou une benne de recyclage, elle sait que je suis là, parfois elle me rend visite, me caresse du bout des doigts, comme l'on ferait d'un piano qui vous émeut , frappant quelques notes sibyllines.
Mon ruban bicolore rouge et noir, a séché, elle n'en a pas trouvé pour le remplacer; je me souviens de ses petits doigts qui habilement suivaient mes guide ligne, pour tendre mon ruban, ses petits doigts maculés d'encre fraiche..., elle rembobinait à la main, faisant perdre la tête à ma bobinette gauche dans un tourbillon de plaisir, et rechargeait en sens inverse ma bobine droite qui redevenait ventrue, prête à nouveau pour les mots à frapper, prête à embarquer pour des lignes d'évasion féérique.
C'était le temps où nous jouïons ensemble des partitions particulières, elle me confiait ses tickets de clientes dans son univers de "Mademoiselle la Marchande", puis les noms de ses abonnés dans " Madame La bibliothécaire" : je m'appliquais à son gré pour aligner les dates d'emprunt et date limite de retour de l'oeuvre littéraire, tabulant les colonnes dans un gros bruit de chariot déplacé sur son rail.
Son sourire enfantin, radieux, quand ma sonnette annonçait la fin d'une ligne était mon plus joli cadeau.
A chaque déménagement, la petite fille menue me portait malgré mon poids important, j'étais son trésor, elle ne confiait cette tâche à quiconque de peur que je ne tombe dans les escaliers au risque de me briser.
Elle déménageait souvent.. parfois d'appartement, mais parfois simplement dans sa chambre, elle était toujours à la recherche de l'endroit idéal , pour me voir depuis son lit ou la porte d'entrée.
J'étais une reine sur un piédestal .
Ma peinture était quelque peu défraîchie, elle habillait parfois mon capot de papiers irisés suivant l'évolution de ses goûts, patiente, inventant le papier collant pour moi à grand renfort de ruban adhésif.
Chaque année, elle otait ma parure fânée par la lumière et le soleil, j'étais une élégante essayant une robe différente, sa mode était la mienne, j'avais ma modiste personnelle.
Je sais qu'elle ne m'abandonnera pas, même si je suis là, au repos, je sais bien qu'elle frappe sur des claviers plus souples depuis quelques années, je ne suis pas rouillée malgré mon âge avancé, elle m'entretient à l'huile d'olive . Il manque juste un ruban rouge et noir bien encré pour que je puisse élancer à nouveau mes lettres et ma ponctuation ..
Existe - t-il quelque part cet alter ego.?
Il faut que je songe à glisser cette idée, souffler au creux de son oreille ... il n'est peut-être pas trop tard ....
"Dis !?Tricôtinette, regarde peut-être sur internet ?"
@ La Royale de Pascale
(1ère diffusion Novembre 2010 sur une idée de Parisianne "objets inanimés" )